…/… J’ai mal dormi la nuit dernière. La perspective de cette première réunion avec mes acquéreurs me stresse.
J’avale un café, pas faim pour autre chose.
Un saut dans la douche, un regard dans la glace pour me donner une figure présentable, j’enfile la tenue qui m’attend sur la chaise. Saisit les clés du 4X4, me voici sur la route.
7 H : j’arrive au bureau. Le premier, comme d’habitude.
Julien, notre DRH, me rejoint trente minutes plus tard.
– En forme ? me dit-il en tapant amicalement sur mon épaule.
– Mouais !
– Je vais à l’embauche, il y a un problème sur le chantier du Grand Pavois. Faut que j’vois les gars…
– T’es prêt pour la réunion ?
– Ah ! C’est aujourd’hui ?
Julien pense me détendre avec sa boutade. Je reste concentré.
Suit Pierre, notre Directeur financier. Pas vraiment le look des travaux publics : chemise blanche, chaussures miroitantes, barbe tous les jours de trois jours, cheveux dans l’alignement parfait de la mèche qui feint de tomber négligemment sur son front… Son air de gendre parfait tranche avec le reste des équipes. Mais c’est avant tout un pro hors pair. Ca me va bien.
– J’ai retravaillé hier soir la présentation Excel. Tu va voir, ça va cartonner !
Je lève un œil qui dit mon obstination à économiser mes paroles. Surtout ne rien lâcher : comme un boxeur qui se prépare au combat, je compte mes atouts et prépare mentalement mes esquives.
Pierre et Julien me connaissent. Et aucun des deux n’est dupe des enjeux de la rencontre qui va débuter dans … 30 minutes !
30 minutes ? Déjà ? Et zut ! Je devais appeler ma fille pour lui souhaiter bonne chance à la première épreuve du bac.
Bon ! Inutile de se perdre en regrets. Je saurai me rattraper.
Je remets illico les gaz pour faire tourner à fond mes méninges.
Dix minutes avant l’arrivée des acquéreurs, je rejoins Pierre et Julien dans la salle de réunion. Le représentant du personnel, Olivier, est avec eux, tasse de café à la main.
Jennyfer, comme d’habitude, a bien préparé les choses : porte-noms sur la grande table, viennoiseries débordant du plateau où trône le thermos de café, pc et vidéo-projecteur affichant « Bienvenue ! ». Mon regard balaie l’endroit : tout est en ordre, tout est prêt.
L’heure approche. Je me sens tout aussi tendu que confiant. Presque dans une excitation joyeuse : je sais ce que vaut ma boite, et je vais savoir le dire !
Arrive la délégation Raffrin : pas plus nombreux que nous. C’est tant mieux.
Je troque mon masque d’homme préoccupé pour celui de chef d’entreprise enjoué : des années de pratique me donnent une aisance déconcertante dans l’exercice. Je sais parfaitement passer de l’une à l’autre posture en un clin d’œil.
J’accueille chaleureusement nos interlocuteurs. Non sans capter les regards complices de Julien, Pierre et Olivier soulagés de ma soudaine métamorphose. Ils y sont pourtant habitués.
– Café ?
Tous acceptent. Quelques banalités de circonstance, puis les uns et les autres s’assoient.
Débutent les présentations : chacun y va d’écoles, de diplômes et de titres aux noms ronflants. Je ne me laisse pas impressionner. J’ai débuté à 16 ans sur les chantiers.
Arrive mon tour :
– Moi, c’est Denis. J’ai bac moins quatre !
Tout le monde s’esclaffe. L’atmosphère se détend.
Faire rire est l’une de mes tactiques pour garder la main sur mon auditoire.
Premier point gagné. Je sais que la partie va être longue !